Repérer un geste suspect parmi des centaines de clients anonymes, alerter un responsable de magasin avant même que le vol soit consommé, tout cela sans remplacement de caméra ni intervention humaine ? C’est la promesse controversée de la start-up française Veesion, pionnière dans l’application de l’intelligence artificielle à la lutte contre le vol à l’étalage.
L’IA Veesion lit les gestes comme un agent de sécurité
Fondée en 2018, Veesion développe un logiciel basé sur la vision par ordinateur et la reconnaissance de comportements suspects. Concrètement, le système s’intègre aux caméras de vidéosurveillance déjà présentes dans les magasins, sans nécessiter d’infrastructure supplémentaire.
L’algorithme scrute en temps réel les vidéos captées, identifie des mouvements qui pourraient indiquer une tentative de vol (comme le fait de cacher un objet dans un sac ou sous un vêtement), puis envoie une alerte instantanée accompagnée d’une courte séquence vidéo aux responsables du magasin.
Selon l’entreprise, la solution peut analyser plus de 100 000 gestes par mois et permettrait une réduction des pertes liées au vol allant jusqu’à 60%. De nombreux commerçants en France, mais aussi aux États-Unis, en Espagne ou en Australie, ont adopté la technologie pour sécuriser leurs rayons.
Une croissance fulgurante malgré les inquiétudes réglementaires
En mai 2025, Veesion a levé 38 millions d’euros pour accélérer son déploiement international. La start-up revendique aujourd’hui plus de 5 000 points de vente équipés dans 25 pays, preuve d’un marché en pleine demande. Pourtant, son modèle d’IA appliqué à la vidéosurveillance ne fait pas l’unanimité. En juin 2024, la CNIL a estimé que la technologie ne respectait pas le RGPD. En cause : l’absence de consentement explicite des clients filmés et l’usage de traitements automatisés sur des données potentiellement sensibles.
Le Conseil d’État a confirmé cette position en rejetant la demande de suspension déposée par Veesion, rendant son déploiement sur le sol français juridiquement incertain. De leur côté, des associations de défense des libertés numériques, comme La Quadrature du Net, dénoncent un glissement vers une « surveillance algorithmique permanente » qui pourrait devenir la norme sans débat démocratique.
Le vol à l’étalage est en pleine explosion en France
Indicateur | Données 2024 |
---|---|
Nombre de vols à l’étalage recensés | Environ 42 000 incidents signalés aux forces de l’ordre, soit une augmentation de 14 % par rapport à 2023. |
Pourcentage de commerçants victimes | 82 % des commerçants interrogés ont déclaré avoir été victimes de vols, en hausse de 15,5 % par rapport à l’année précédente. |
Produits les plus ciblés | Vêtements et accessoires de marque (39 %), cosmétiques et parfums (35 %), alcools et spiritueux (23 %), produits alimentaires (21 %), produits de pharmacie/parapharmacie (14 %). |
Taux de dépôt de plainte | Seuls 52 % des commerçants victimes ont porté plainte, beaucoup estimant que cela ne mène à aucune suite concrète. |
Taux de condamnation des voleurs | Environ 3 % des voleurs ont été condamnés par la justice en 2024. |
Sources : Generali, Le Monde du Tabac, RAS LE VOL, Actu Orange, AES Protection
Un outil qui divise : efficacité ou dystopie ?
L’efficacité de Veesion ne semble pas faire débat du côté des professionnels. Plusieurs enseignes de la grande distribution parlent d’une « révolution dans la sécurité du commerce de proximité », arguant que l’IA agit comme un œil supplémentaire, capable de concentrer son attention 24h/24 là où les humains décrochent. Pour les responsables de magasins confrontés à une hausse des vols et à des effectifs en baisse, la solution offre un soulagement concret.
Mais à quel prix ? Le RGPD, tout comme la loi française encadrant les Jeux Olympiques de 2024, autorise l’analyse vidéo par IA uniquement dans des contextes bien précis, comme les événements sportifs ou les expérimentations encadrées. Les commerces de proximité ne font pas partie de ces exceptions. Veesion évolue donc sur une ligne juridique floue, espérant peut-être une évolution législative qui entérinerait ce type d’usage.
Veesion, précurseur ou symbole d’un futur sous surveillance ?
L’avenir de la start-up dépendra autant de ses performances commerciales que de l’évolution des lois sur la surveillance algorithmique. Si le législateur décide d’encadrer, ou d’interdire, ce type d’usage en commerce, Veesion pourrait devoir revoir son modèle. En attendant, elle poursuit son expansion à l’international, notamment aux États-Unis, où la réglementation est plus souple.
Ce que révèle surtout le succès de Veesion, c’est la volonté croissante du secteur de la distribution d’automatiser la sécurité à défaut de pouvoir renforcer les effectifs humains. Une tendance lourde, qui risque de s’accentuer dans les années à venir… avec ou sans feu vert réglementaire.