Ce qui relevait hier encore de la théorie du complot prend aujourd’hui des allures de réalité glaçante. Selon une enquête du média américain 404 Media, Cox Media Group (CMG), acteur majeur de la publicité numérique, a développé un système d’écoute active (« Active Listening ») exploitant l’intelligence artificielle pour analyser les conversations captées par nos appareils connectés. L’objectif : identifier en temps réel nos intentions d’achat et ajuster instantanément les publicités qui nous sont adressées.
Concrètement, chaque mot prononcé à proximité de votre smartphone, enceinte connectée ou box TV pourrait donc être transformé en signal commercial, à votre insu.
Active Listening : une captation continue derrière des micros de smartphone théoriquement inactifs
Avez-vous déjà eu le sentiment troublant que votre smartphone vous espionnait ? En particulier quand après avoir discuté à la machine à café d’un produit vous avez vu apparaitre des publicités ciblées très exactement sur celui-ci, 2 minutes après sur votre mobile ? On a la preuve aujourd’hui que non, vous n’êtes pas parano.
Les documents internes qui ont leaké cette semaine ont révélé que la société CMG avait développé et utilisait un système appelé Active Listening. Celui-ci s’appuie sur les micros de nos smartphones, lesquels peuvent rester actifs en permanence, même lorsque vous pensez les avoir désactivés.
L’intelligence artificielle analyse ensuite ces fragments de conversations, croisés avec vos historiques de navigation, vos habitudes d’achat et votre localisation, pour dresser un portrait extrêmement précis de vos désirs et comportements.
Et comme vous l’avez deviné, cette analyse comportementale est ensuite exploitée pour vous exposer à des publicités ultra-ciblées, censées coller à vos priorités du moment.
Un consentement quasi inexistant et une pratique interdite en Europe
Pour enfoncer le clou, ce système ne propose bien évidemment aucun véritable mécanisme d’opt-out : il serait impossible de refuser simplement ce type de collecte.
Cette pratique va à l’encontre du principe de consentement libre et éclairé « garanti » par le RGPD en Europe, qui impose une information claire et un accord explicite pour toute captation de données personnelles, a fortiori pour des conversations privées.
En France, l’article 226‑1 du Code pénal interdit d’enregistrer la parole d’autrui à son insu, ce qui pourrait exposer CMG à de lourdes sanctions en cas de déploiement sur le territoire européen. Aux États-Unis, la législation est plus permissive, mais la polémique a poussé la sénatrice Marsha Blackburn à réclamer une enquête parlementaire sur ces pratiques, jugées attentatoires aux libertés individuelles.
CMG a aussitôt été banni de Google mais pas encore de Facebook
La révélation de ce projet a provoqué une onde de choc chez les partenaires de CMG. Google a rapidement mis fin à toute coopération commerciale, tandis que Meta (Facebook) a lancé un audit interne pour vérifier la conformité de ses pratiques. Amazon, de son côté, a fermement nié toute collaboration et menacé de poursuites toute entité exploitant la voix de ses utilisateurs à des fins publicitaires, rappelant son engagement à ne pas utiliser les micros à cette fin.
Néanmoins, la présence de ces acteurs dans les documents promotionnels de CMG alimente la défiance du public, qui peine à croire à la totale étanchéité entre partenaires dans un secteur aussi opaque.
Des soupçons de longue date confirmés
Depuis des années, de nombreux utilisateurs témoignent de l’apparition de publicités en ligne en lien direct avec des sujets évoqués à l’oral, sans aucune recherche préalable sur internet. Longtemps qualifiés de « fantasmes », ces soupçons trouvent aujourd’hui un écho inquiétant : la technologie existe bel et bien pour écouter, interpréter et monétiser nos conversations privées.
Les entreprises ont toujours nié une telle exploitation systématique, mais la fuite de ces documents prouve que le marché publicitaire y voit un potentiel immense, au mépris de la confidentialité des échanges familiaux ou amicaux.
Si ce dispositif devait être déployé à grande échelle, la frontière entre vie intime et stratégie marketing s’effondrerait. Chaque discussion deviendrait un point de données à analyser, transformant nos domiciles en laboratoires d’étude comportementale. Cette perspective d’écoute permanente, sans contrôle, est incompatible avec une société respectueuse des droits fondamentaux et pourrait instaurer un climat de méfiance généralisée, où chacun surveillerait ses propres mots par crainte d’être profilé.
Comment vous protéger de ce viol de votre vie privée ? Les moyens restent limités
À ce jour, les utilisateurs disposent de peu de leviers pour se défendre.
Il est toutefois recommandé de :
- Vérifier régulièrement les autorisations micro de chaque application et désactiver celles non indispensables.
- Désactiver les assistants vocaux (Siri, Google Assistant, Alexa) si non utilisés.
- Choisir des appareils et applications réputés pour leur respect de la vie privée.
- Suivre de près les mises à jour des conditions d’utilisation et signaler tout abus à la CNIL ou à l’autorité compétente.
- Exiger la transparence et un consentement réel auprès des fournisseurs de services numériques.
Mais seule une législation plus ferme, assortie de contrôles rigoureux, permettra de contrer efficacement cette exploitation à grande échelle de notre intimité.
aucune preuve n’atteste que tous les smartphones écouteraient systématiquement chaque utilisateur pour nous servir de la publicité ciblée, mais la technologie et les tentatives existent bel et bien, et la vigilance reste de mise.