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Un homme revient d’entre les morts en deepfake pour parler à son assassin au tribunal

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La voix de l’au-delà, remixée par l’intelligence artificielle. Aux États-Unis, un homme décédé a « pris la parole » lors du procès de son meurtrier grâce à un avatar IA. Une première glaçante, digne de Black Mirror, qui interroge les fondements même de la justice.

Imaginez une scène digne de Minority Report ou d’un épisode sombre de Black Mirror : un tribunal, un assassin sur le banc des accusés, et soudain, la victime, morte depuis trois ans, qui lui parle face caméra. Ce n’est pas une dystopie hollywoodienne. C’est ce qui s’est réellement produit en avril 2025, dans un tribunal de l’Arizona.

Un homme revient d’entre les morts en deepfake pour parler à son assassin au tribunal

Christopher Pelkey, vétéran de l’armée américaine, a été tué par balles en 2021 lors d’un épisode de rage au volant à Chandler (Arizona). Son meurtrier, Gabriel Paul Horcasitas, comparaissait récemment pour homicide involontaire. Et c’est là que l’inimaginable s’est produit : Pelkey, ou plutôt son double numérique, s’est exprimé face au juge et à l’accusé, dans une vidéo générée par intelligence artificielle.

Un fantôme numérique sur le banc des témoins

La vidéo, conçue par la sœur du défunt, Stacey Wales, a utilisé des images et extraits audio de Pelkey pour créer un avatar 3D réaliste, capable de parler avec sa voix. Le message prononcé ? Un discours de pardon, presque bouleversant : « À Gabriel Horcasitas, l’homme qui m’a tiré dessus – c’est dommage que nous nous soyons rencontrés ce jour-là dans ces circonstances. Dans une autre vie, nous aurions probablement pu être amis. »

Le juge Todd Lang, manifestement ému, a salué l’initiative : « J’adore cette IA. Merci. J’ai trouvé que c’était authentique, que le pardon accordé à monsieur Horcasitas reflète parfaitement le personnage de Pelkey dont j’ai entendu parler aujourd’hui. »

Le tueur a été condamné à 10 ans et demi de prison, soit un an de plus que les recommandations du procureur. La vidéo a-t-elle influencé le jugement ? Difficile à prouver. Mais difficile aussi d’ignorer l’impact émotionnel d’une victime qui, littéralement, parle depuis l’au-delà.

Une avancée technologique… ou une pente glissante ?

Derrière la prouesse technique, rendue accessible par des outils aujourd’hui disponibles en ligne pour quelques centaines d’euros, se cache une question vertigineuse : à qui appartient la voix d’un mort ? Peut-on prêter à un défunt des intentions, des émotions, un discours qu’il n’a jamais prononcé ? Même avec la meilleure volonté du monde ?

Stacey Wales a conçu cette intervention comme un hommage et une thérapie familiale. Mais comme le rappelle la juge Ann A. Scott Timmer, de la Cour suprême de l’Arizona, le recours à l’IA dans les tribunaux doit être manié avec précaution : « L’IA peut aider ceux qui ne comprennent pas bien notre système juridique, mais elle peut aussi bouleverser la justice si elle est utilisée de façon inappropriée. »

La Cour a d’ailleurs lancé un comité d’éthique sur l’usage de l’IA en justice. Car si l’outil fascine, il inquiète tout autant : jusqu’où ira-t-on dans la reconstitution de la parole des morts ? Aujourd’hui un discours de paix, demain un réquisitoire ou une vengeance algorithmique ?

Quand la justice devient un spin-off de Westworld

Les implications de cette affaire sont dignes des récits de science-fiction les plus noirs. On pense à Westworld, où les hôtes, copies d’humains, revivent éternellement des récits qu’ils n’ont jamais choisis. Ou à Her, où la voix synthétique devient plus crédible que les émotions humaines elles-mêmes.

Un homme revient d’entre les morts en deepfake pour parler à son assassin au tribunal #2

En laissant un avatar parler au nom d’un disparu, on crée une vérité alternative, forcément biaisée. Ce n’est pas la voix de Pelkey, mais celle que ses proches ont rêvé qu’il aurait eue. La justice peut-elle s’appuyer sur un tel artefact émotionnel ? Ou est-ce là le début d’une ère où la mémoire des morts devient un terrain malléable, manipulable, monétisable ?

Le cas Pelkey risque bien de faire jurisprudence. Aujourd’hui, un deepfake a été utilisé avec noblesse. Mais demain ? Un témoin numérique peut-il mentir ? Peut-on falsifier un testament vidéo, une confession, une menace ?

Le deepfake est déjà dans la salle

Les deepfakes, ces imitations ultraréalistes générées par IA, ont déjà infiltré la culture populaire, des clips de Kendrick Lamar à des fausses pubs de Tom Cruise sur TikTok. Mais leur irruption dans les tribunaux annonce une mutation plus profonde : ce ne sont plus seulement nos données qui sont en jeu, mais notre image, notre voix, notre présence posthume.

Il ne s’agit plus de simuler la vie, mais de prolonger la mort.

On pensait que seuls les Jedi pouvaient revenir en hologramme pour guider les vivants. La justice américaine vient de prouver que la fiction n’est plus qu’à un procès près de la réalité.

Ingénieur ENSAM Paristech et diplômé du MBA de l'ESSEC, Fabien est journaliste Tech & Pop Culture mais aussi Consultant IA et Marketing.