Facebook bientôt contraint de renforcer sa censure aux USA ?

  • Par Thomas Lecors
  • Publié le 21 décembre 2019 à 14:06, modifié le 31 décembre 2019 à 12:10

Les sites comme Facebook et YouTube sont essentiellement alimentés par des contenus publiés par des internautes et des marques. À la fois moteurs de recherche et réseaux sociaux, ils ont actuellement le statut d’hébergeurs de contenus : un statut flou qui les déresponsabilise aux yeux de la loi américaine. Mais cela pourrait changer très bientôt : si la nouvelle proposition de loi est approuvée, Facebook devrait alors appliquer une censure beaucoup plus stricte que le contrôle manuel appliqué actuellement.

Facebook et YouTube jouissent actuellement d’une immunité juridique aux États-Unis

Sur le territoire américain, le statut d’hébergeur de sociétés comme Facebook et YouTube est protégé par la section 230 du Communications Decency Act. Une section votée en 1996, 8 ans avant la création de Facebook, stipule que :

« Aucun fournisseur ou utilisateur d’un service informatique interactif ne doit être considéré comme l’éditeur ou le locuteur d’une information fournie par un autre fournisseur d’information. »

En d’autres termes, un hébergeur de contenus n’est pas responsable des propos qui sont tenus par des tiers sur son service… Si cette loi vieille de 23 ans préserve en théorie la liberté d’expression sur internet, elle a de nombreuses fois montré ses limites : on ne compte plus les exemples de contenus extrémistes, incitants à la haine ou violant la propriété intellectuelle diffusés sur Facebook.

En Europe aussi la loi pourrait changer

Actuellement, lorsqu’un internaute publie un contenu sur un hébergement web PlanetHoster, OVH ou Ionos, l’hébergeur n’est pas responsable de la teneur des textes et vidéos rendus disponibles en ligne grâce à ses services, qu’ils soient sur un serveur dédié, mutualisé, un VPS ou encore dans le Cloud. Les blogs, chaînes YouTube et autres pages de réseaux sociaux n’échappent donc pas à la règle.

En cas de plainte (on se souvient des scandales des photos intimes de stars diffusées sur le web), les délais de retrait de contenus litigieux peuvent être longs. Devant la complexité du problème, certains hébergeurs demandent une décision du tribunal pour agir.

L’Union Européenne réfléchit à la création d’un statut intermédiaire entre hébergeur et éditeur avec une notion de responsabilité éditoriale, qui pourrait inciter les hébergeurs à prendre les devants. Une modération plus intelligente des contenus litigieux serait sans aucun doute bénéfique pour tous, mais sa complexe mise en oeuvre en allant à l’économie risquerait aussi de faire du web un espace censuré, ce qui serait peut-être plus terrifiant encore…

Un projet de loi pour soumettre Facebook a des audits externes « politiquement neutres » tous les 2 ans

Bien que les plateformes aient investi ces dernières années un budget conséquent dans la modération des contenus, les dérapages restent fréquents. C’est pourquoi le sénateur américain Josh Hawley a proposé cet été une loi qui mettrait fin à l’immunité de Facebook et YouTube :

« La section 230 est une aubaine pour les entreprises de la Tech. Aucune autre industrie ne jouit de tels avantages : une exemption complète des responsabilités traditionnelles des éditeurs contre la mise à disposition d’un forum sans censure politique. Malheureusement, et sans surprise, les géants de la Tech ont échoué à tenir leurs engagements. »

Si sa proposition est votée, la section 230 sera retirée pour les plateformes ayant plus de 300 millions d’utilisateurs mensuels dans le monde. Ces dernières ne pourront récupérer cette immunité qu’en se soumettant à un audit externe « politiquement neutre » reconduit tous les deux ans. Une proposition qui fait aussi référence à l’influence des moteurs de recherche et des réseaux sociaux sur les intentions de vote aux USA. On se rappelle que Donald Trump dans une interview du Financial Times déclarait lui-même :

« Sans les tweets, je ne serais pas là. J’ai plus de 100 millions d’abonnés entre Facebook, Twitter et Instagram. Plus de 100 millions. Je n’ai pas besoin d’aller voir les faux médias. »

Facebook bientôt contraint de renforcer sa censure aux USA ?

La proposition a de grandes chances d’être entérinée, Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants, ayant déclaré en audience y être favorable :

« La loi a été interprétée de façon trop large. Les plateformes échappent à leurs responsabilités quand elles sollicitent des activités illégales, ou laissent délibérément des contenus nocifs et vendent des produits dangereux. »

Quelles conséquences pour Facebook et YouTube ?

La conséquence directe du retrait de la section 230 serait de devoir renforcer de façon très significative la modération des contenus. Or, la notion de « modération » fait déjà largement débat sur Facebook, des mots clefs (comme « sexe ») ou des blagues de mauvais goût générant déjà chaque jour des bannissements injustifiés par milliers.

Selon Eric Goldman, professeur de l’université de Santa Clara, cette loi cristallise le ressentiment à l’égard de Facebook et Google, mais « les Américains seraient les premiers perdants » si elle était modifiée :

« Les services que nous aimons le plus existent grâce à la section 230. »

Facebook bientôt contraint de renforcer sa censure aux USA ? #2

Selon Corynne McSherry de l’Electronic Frontier Foundation, ONG qui protège les libertés sur internet, supprimer la section 230 reviendrait à « cimenter la domination » de la Silicon Valley, car les petites entreprises n’auraient pas les moyens financiers de filtrer les contenus. Ce à quoi Katherine Oyama, chargée des questions de propriété intellectuelle chez Google, ajoute :

« Des sites comme Yelp ou TripAdvisor pourraient se retrouver au tribunal pour diffamation à cause d’un avis négatif sur un restaurant ou un électricien ».