« Talents » : le mot est présent partout sur internet. Nouveaux talents musicaux, littéraires, comiques, cinématographiques… tous bénéficient de sites et de plates-formes dédiées à leur visibilité et à leur promotion. Dans cette jungle, où le vote d’un public pas toujours averti et le crowdfunding dominent largement la partie, se pose la question du futur de la création.
Internet, détecteur de talents et financier de l’improbable
Internet permet à de jeunes artistes d’accéder à une certaine notoriété. Ils peuvent se faire connaître et rencontrer directement un public, souvent large, en évitant les difficultés et écueils inhérents à tout parcours artistique. Qu’ils ne sachent pas comment accéder aux institutions culturelles ou souhaitent rester résolument indépendants, ils ont le choix.
My Major Company, Ulule, KissKissBankBank… Ces sites de crowdfunding désormais très populaires promeuvent des projets auprès du grand public en musique, en littérature, mais également en cuisine, patrimoine (le Louvre y a fait appel pour restaurer la Victoire de Samothrace). Chaque projet, explicité et détaillé au visiteur, et des contreparties lui sont proposées en échange de sa participation. En plein essor, le système est désormais plébiscité par les divers gouvernements Hollande.
Dans une situation de crise, où les banques ne prêtent que difficilement, il devient très délicat de faire financer un projet artistique. Or internet et ses solutions à la fois financières et médiatiques offre un tremplin de choix à des centaines d’artistes. Le secteur de la mode était laissé à la traîne, ce n’est plus le cas avec l’apparition de My Pepite, par exemple.
Il y a quelques années, ces configurations étaient impensables. Il n’existait pas de demi-mesure entre l’anonymat et la réussite par les structures conventionnelles. Aujourd’hui, internet permet à des milliers d’artistes de s’exprimer librement et de ne plus s’endetter pour diffuser leurs créations. Si les Etats Unis battent tous les records (avec le jeu vidéo Star Citizen : 44 millions de $ ! ), la France s’est aussi investie dans le concept, soutenant autant des web-documentaires que des chanteurs, aujourd’hui célèbres, comme Irma. Mais dans la plupart des cas hexagonaux, « les grandes campagnes de crowdfunding consistent en des micro-projets » tempère Vincent Ricordeau, cofondateur de KissKissBankBank,
Internet apparaît donc comme un tremplin idéal, où les projets peuvent prendre vie. Leur confrontation immédiate au public certifie (ou non ! ) leur viabilité et leur succès. Cependant, la place et le rôle des professionnels des différents secteurs sont remis en question : va-t-on vers une disparition des labels, des maisons de production et d’éditions ?
Le talent au-delà du virtuel
En dehors des appréciations individuelles, internet ne serait-il pas surtout un marchepied ? Si le démocratique crowdfunding permet de savoir ce qui va séduire le public, qui est en mesure, sinon un professionnel, de distinguer succès et qualité ? Succès et durabilité ? Un talent à l’origine d’un succès populaire peut tout aussi bien tomber dans l’oubli en quelques mois s’il n’est pas soutenu, développé, encouragé, orienté. Le public est un mécène volage et le succès, bien souvent éphémère, est-il un critère de talent suffisant ? On pourrait juger par exemple que le chanteur talentueux aura du succès au-delà de son premier (et parfois unique) tube.
« Sans technique, un don n’est rien qu’une sale manie » chantait Brassens. La maxime s’applique à tous les domaines artistiques. Exemple avec l’édition, aujourd’hui contestée sur son propre terrain par l’autoédition, immédiate et peu coûteuse. Qui d’autre qu’un éditeur est pourtant en mesure de détecter le talent d’un écrivain, de le faire fructifier ? D’apporter de la cohésion entre un travail et son public ? « Nos auteurs, nos marques et entre les deux le talent de nos éditeurs permettent de donner du sens, d’orienter et, au final, de répondre à la demande d’information, de capter l’audience et de la fidéliser » explique Arnaud Nourry, PDG de Hachette, interrogé sur les caractéristiques du métier d’éditeur. Au milieu du brouhaha des titres lâchés par millions dans le monde de l’auto-édition, « la maison d’édition va redevenir une vraie valeur, un repère, une sélection, une écurie qui donne confiance au lecteur », prophétise même le patron d’Hachette. Les mêmes règles régissent le monde de la musique, comme l’illustre le parcours de Joyce Jonathan : propulsée par My Major Company, elle signe ensuite chez Polydor. Les grands labels, les éditeurs, les metteurs en scène, quels qu’ils soient, les professionnels référents sont généralement indispensables à la pérennité d’un succès, et à l’épanouissement d’un artiste.
N’oublions pas que ce sont eux, les professionnels, qui ont toujours contribué à la découverte et au soutien de jeunes talents. Artistes reconnus soutenant d’autres artistes plus jeunes, à l’image de Bruce Springsteen qui, en 1978, écrit une chanson pour une certaine Patti Smith (« Because the Night » deviendra l’un des plus importants succès de la chanteuse), concours organisés par des organismes sponsors et des professionnels d’un secteur, comme le Prix du Graffiti, organisé par EDF et l’association Graffart (l’une des plus importantes associations de graffeur parisiennes), exposition de jeunes artistes dans des galeries dédiées, et publications de premiers romans, à l’image de la rentrée littéraire 2014 qui a vu émerger de nombreux nouveaux talents chez différents éditeurs, petits comme Christophe Lucquin, ou référents comme Stock.
La complémentarité entre le financement participatif propre à internet et l’expérience de professionnels, garants d’une certaine qualité et pérennité, semble indispensable à la réussite de projets artistiques. Si la création se porte bien sur internet, son avenir en dehors, sur des rails traditionnels, reste assuré ! Mais sans oublier ce que professait Thomas Edison dès le début du 20ème siècle : « le génie, c’est 1% d’inspiration et 99% de transpiration ».