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Facebook a ciblé des adolescentes en détresse ... pour vendre du mascara


Il suffisait d’un geste banal, d’un moment de doute ordinaire. Supprimer un selfie. Hésiter sur une publication. Montrer un soupçon d’insécurité. C’est dans ces failles que les algorithmes de Facebook – et sa maison-mère Meta – se seraient engouffrés pour transformer la vulnérabilité des adolescentes en opportunité commerciale. À la clé : des publicités pour du maquillage, comme le mascara, diffusées pile au moment où ces jeunes utilisatrices exprimaient leur mal-être.

Facebook accusé d’exploiter la détresse des adolescentes

Ces révélations troublantes sont au cœur du livre de Sarah Wynn-Williams, Careless People: A Cautionary Tale of Power, Greed, and Lost Idealism, publié en mars dernier. L’ancienne directrice des politiques publiques de Facebook y raconte une entreprise devenue experte dans l’exploitation algorithmique des émotions. « Pour moi, ce type de surveillance et de monétisation du sentiment d’inutilité des jeunes adolescents est une avancée concrète vers l’avenir dystopique contre lequel les critiques de Facebook avaient longtemps mis en garde », écrit-elle.

  • Careless People: The explosive memoir that Meta doesn’t want you to read (English Edition)

Selon elle, dès 2017, Meta aurait déployé des techniques de ciblage publicitaire spécifiquement pensées pour les jeunes de 13 à 17 ans. L’objectif : capter des « moments de fragilité émotionnelle » afin de pousser des contenus commerciaux adaptés. Des documents internes révélés par The Australian confirment que l’entreprise proposait à ses partenaires annonceurs d’exploiter les moments où les adolescents se sentaient « inutiles », « stressés », « anxieux » ou encore « sans valeur ». À l’époque, Facebook assurait pouvoir identifier ces états grâce aux interactions, publications ou suppressions de contenu sur ses plateformes.

Meta ciblait les mineurs selon leur état émotionnel

Wynn-Williams détaille une scène glaçante : une adolescente retire une photo d’elle-même jugée peu flatteuse ; dans la foulée, elle reçoit une publicité pour du mascara ou des soins pour la peau. Ce mécanisme, selon elle, n’est pas le fruit du hasard. « Les ingénieurs avaient optimisé le système pour que la tristesse devienne un point d’entrée publicitaire », affirme-t-elle dans une interview à The Guardian publiée en avril dernier.

Facebook a ciblé des adolescentes en détresse … pour vendre du mascara

Face à l’émotion croissante suscitée par ces accusations, Meta a réagi en ressortant un vieux communiqué de 2017 : « Facebook ne propose pas d’outils permettant de cibler les personnes en fonction de leur état émotionnel. L’analyse évoquée n’a jamais été utilisée pour des campagnes publicitaires. Elle reposait sur des données agrégées, anonymisées, destinées à mieux comprendre comment les gens s’expriment sur notre plateforme », expliquait alors la firme, contactée récemment par Futurism.

Mais cette ligne de défense ne suffit plus. Lors d’une audition devant le Sénat américain en avril 2025, Wynn-Williams a confirmé sous serment que Meta partageait bel et bien avec ses annonceurs des données exploitables sur l’état émotionnel de ses jeunes utilisateurs. « Ces ados n’avaient aucune idée qu’en supprimant une photo, ils signalaient à une machine qu’ils étaient en détresse », a-t-elle déclaré, devant une commission visiblement abasourdie.

Facebook a ciblé des adolescentes en détresse … pour vendre du mascara #2

L’enjeu dépasse la simple publicité. Il touche à la manière dont une plateforme peut modeler l’estime de soi d’une génération, en injectant des suggestions commerciales précisément dans les moments d’insécurité. Pour la chercheuse Kate Eichhorn, spécialiste des médias numériques, il s’agit d’un « capitalisme affectif », où les émotions sont extraites comme des ressources. « Ce que Facebook a fait avec les adolescentes est comparable à de l’exploitation minière émotionnelle », explique-t-elle dans une tribune publiée sur Wired.

Vers une loi sur le ciblage pub des adolescents

Plusieurs associations de défense des enfants et des droits numériques réclament aujourd’hui l’ouverture d’une enquête fédérale aux États-Unis et une nouvelle régulation du ciblage publicitaire à destination des mineurs. L’ONG Fairplay for Kids parle d’un « abus systémique de confiance », rappelant que les adolescents ne disposent pas des ressources cognitives pour faire face à des stratégies aussi sophistiquées.

Facebook a ciblé des adolescentes en détresse … pour vendre du mascara #3

Le livre de Sarah Wynn-Williams est devenu un véritable brûlot politique. Meta a d’ailleurs lancé une procédure judiciaire pour en interrompre la promotion, affirmant que l’ancienne cadre avait violé ses accords de confidentialité. Mais comme souvent dans les scandales liés aux GAFAM, ce sont les fragments révélés dans le débat public qui nourrissent l’indignation, bien plus que les procédures légales.

« J’ai vu ce système de l’intérieur. J’ai vu comment on transformait le mal-être en clics », écrit Wynn-Williams. La formule est brutale, mais elle résume à elle seule une décennie de stratégie numérique centrée non pas sur le bien-être des utilisateurs, mais sur leur monétisation maximale.

  • Ultimate Guide to Facebook Advertising (English Edition)
  • Facebook Marketing Pas à Pas: Ta Guide Pas à Pas Pour Apprendre Comment Promouvoir Et Vendre N’Importe Quoi Sur Facebook. Découvres Les Outils Pour Stimuler Les Ventes Et Le Marketing

Ingénieur ENSAM Paristech et diplômé du MBA de l'ESSEC, Fabien est journaliste Tech & Pop Culture mais aussi Consultant IA et Marketing.