Pour limiter l’exposition des mineurs aux contenus inadaptés à leur âge, les sites, réseaux sociaux et institutions tâtonnent encore. Quelques pistes se dessinent néanmoins pour parvenir à une vérification d’âge réussie. Associé à la startup Yoti, le réseau social pour adolescents Yubo, sur lequel les moins de 13 ans ne sont pas admis, en fait la démonstration.
Ils étaient censés faire figure de pionniers en la matière, mais à la suite de nombreuses difficultés techniques, et après plus de deux ans d’âpres discussions, les Britanniques ont finalement abdiqué. Ils ne proposeront pas avant au moins l’année prochaine de système abouti pour restreindre l’accès des mineurs aux contenus pornographiques.
Pour préserver les plus jeunes de tout contenu indésirable en ligne, le Royaume-Uni envisageait de forcer les sites sensibles à réclamer les papiers d’identité – passeport ou simple carte – des internautes. Pour les plus frileux à l’idée de mettre en ligne des documents aussi sensibles, une alternative de choix avait été évoquée : de véritables « pass » à acheter auprès de son marchand de journaux, pour attester de sa majorité sur le Web, sans avoir à compromettre son identité.
La reconnaissance faciale, une piste à suivre ?
La prochaine piste envisagée ? La reconnaissance faciale. Ce mode de vérification de l’âge, qui implique pourtant d’envoyer une photo ou une vidéo de son visage, semble tirer son épingle du jeu, alors même que le coup d’arrêt constaté au Royaume-Uni tenait à des craintes légitimes de sécurité et d’usurpation d’identité. Cette même reconnaissance faciale a été avancée comme solution mi-octobre par Matt Warman, secrétaire adjoint aux Affaires numériques du gouvernement de Boris Johnson.
Elle est surtout déjà étudiée de près en Australie. Le ministère de l’Intérieur australien s’en est en effet emparée fin octobre. Les internautes australiens pourraient ainsi être parmi les premiers à devoir envoyer une photo de leur propre visage à des sites interdits aux mineurs. D’après les premières esquisses de ce projet, ces mêmes photos seraient automatiquement comparées à des bases de données officielles – telles que celles des permis de conduire ou des passeports. Une zone d’ombre subsiste néanmoins, et non des moindres : la meilleure manière de sécuriser les photos envoyées, afin que celles-ci ne fuitent pas en ligne… et ne viennent pas porter préjudice à leurs auteurs.
Un sujet de « santé publique »
Si l’Australie promeut la proposition la plus aboutie de vérification d’âge, la France n’est pas en reste. En octobre 2018 déjà, Mounir Mahjoubi, alors secrétaire d’Etat au numérique, invoquait la possibilité de s’en remettre à des « tiers de confiance » pour vérifier l’âge des internautes. De la sorte, les sites, notamment pornographiques, n’auraient eux-mêmes vent de l’identité de leurs visiteurs. Quelques semaines auparavant, Marlène Schiappa avait avancé la nécessité de « filtres » pour protéger les « enfants pré-pubères et jeunes adolescents ». La secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes voyait alors en cette épineuse question un « sujet de santé publique ».
Depuis, l’exécutif a tenté de passer à la vitesse supérieure. En juillet, et par la voix du secrétaire d’Etat chargé de la Protection de l’enfance, Adrien Taquet, le gouvernement a indiqué préparer pour le mois de septembre la signature d’une charte de prévention de l’exposition des enfants à la pornographie. Pour aboutir à ce texte, l’implication de différents acteurs d’Internet et de la société civile est prévue. Le projet accuse cependant près de deux mois de retard. Si aucune proposition définitive n’a encore vu le jour, de premières annonces sont attendues fin novembre.
Yubo à l’avant-garde, Snapchat à la traine
Ce contretemps serait-il à attribuer aux mésaventures britanniques ? Probablement. De manière générale, les solutions de vérification d’identité peinent encore à être adoptées par les acteurs du Web. Fin mars, la très populaire application Snapchat, qui héberge son lot d’adolescents, avouait ne disposer d’aucun « moyen infaillible d’empêcher les moins de 13 ans d’utiliser sa plateforme ». Pour y ouvrir un compte, il suffit de… rentrer sa date de naissance.
Un laxisme cependant non généralisé. Yubo, réseau social à destination des adolescents, s’est ainsi associé à la startup Yoti pour mettre en place un système de vérification de l’âge de ses utilisateurs, parmi lesquels les moins de 13 ans ne sont pas admis.
La technologie développée par Yoti, qui s’appuie sur l’intelligence artificielle (IA) un peu comme le service How Old de Microsoft, permet d’estimer précisément l’âge des utilisateurs à partir des caractéristiques de leur visage. En cas de doute, il sera demandé à l’adolescent de transmettre à Yoti une photo de son document d’identité pour certifier son profil.
Le dispositif adopté par Yubo pourrait faire des émules, tant s’avère prégnant le besoin de mieux contrôler l’accès de certaines plateformes au jeune public, qu’il s’agisse de réseaux sociaux ou de sites au contenu réservé aux adultes. Adrien Taquet rappelle ainsi que « près de 60% des mineurs ont eu accès à la pornographie », le premier contact avec ces contenus inadaptés intervenant autour de 10-11 ans. Une exposition qui n’est pas sans affecter « leur sexualité, leur développement et leur relation au monde ».
Si l’exemple de Yubo montre que des solutions efficaces existent pour remédier à ce « fléau », pour le secrétaire d’Etat chargé de la Protection de l’enfance, les obstacles à la généralisation de ces « garde-fous » sont d’ordre juridique davantage que technologique.