Un film culte, une tension palpable, et une influence bien réelle des familles mafieuses : le tournage du Parrain ne s’est pas fait sans arrangements… et quelques intimidations.
Lorsque Francis Ford Coppola accepte de réaliser Le Parrain, il sait qu’il ne met pas les pieds dans une simple production hollywoodienne. En adaptant le best-seller de Mario Puzo, il se prépare à plonger au cœur d’un univers sombre, codé, chargé d’histoire… et surtout, très sensible. Dès les premières étapes du projet, les réactions de certaines figures italo-américaines ne se font pas attendre. Certaines sont inquiètes, d’autres carrément furieuses. Car pour elles, ce film risque d’entretenir des clichés nuisibles, voire de nuire à leur discrétion légendaire.
Une pression venue de la rue… et pas seulement symbolique
À New York, l’annonce du tournage déclenche des remous dans les milieux mafieux. En particulier au sein de la famille Colombo, alors l’une des cinq grandes familles du crime organisé new-yorkais. Son chef, Joseph Colombo, fonde à cette époque une organisation baptisée Italian-American Civil Rights League. Officiellement créée pour défendre l’image des Italo-Américains dans les médias, elle devient rapidement un bras armé pour bloquer la production du film.
Des manifestations sont organisées, des coups de téléphone menaçants sont passés, des autorisations de tournage sont suspendues… Le message est clair : Le Parrain n’aura pas lieu, à moins de quelques concessions.
Le mot “mafia” supprimé du scénario : un compromis nécessaire
Le producteur Albert S. Ruddy prend alors l’initiative d’une rencontre avec Colombo lui-même. Un rendez-vous étonnant entre un homme de studio et un parrain de la rue. De cette entrevue naît un deal atypique : le mot “mafia” sera purement et simplement supprimé du script. En échange, la Ligue promet de ne plus interférer avec la production. Une promesse qui sera tenue. Ce compromis évite à Coppola et son équipe une paralysie totale du tournage, tout en renforçant paradoxalement l’authenticité du projet.
Lenny Montana : un mafieux devenu acteur
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Parmi les proches de Colombo figure un certain Lenny Montana. Ancien catcheur au physique impressionnant, reconverti en homme de main, Montana est envoyé sur le tournage comme “éclaireur”. À la fois garde du corps et œil discret de la famille, il s’intègre très vite aux coulisses du film. Sa carrure, sa gueule, sa prestance naturelle impressionnent Francis Ford Coppola. Si bien que ce dernier lui propose un rôle : celui de Luca Brasi, le tueur redouté et silencieux de la famille Corleone.
Ironie du sort, Montana est si intimidé par Marlon Brando qu’il bafouille durant les prises. Au lieu de couper, Coppola choisit de conserver cette nervosité à l’écran. Résultat : Brasi semble réellement tétanisé par Don Corleone. Une scène devenue culte, et un exemple parfait de l’alchimie entre réel et fiction qui traverse tout le film.
La présence plus ou moins discrète de membres liés à la mafia plane sur le tournage, en particulier lors des scènes extérieures à New York. Si aucune source ne confirme qu’ils déambulaient librement sur le plateau, plusieurs témoignages évoquent une atmosphère pesante. Les techniciens savaient que tout faux pas ou toute caricature excessive pourrait être mal perçue… voire sanctionnée. C’est peut-être aussi ce respect implicite – mêlé de crainte – qui donne au film sa justesse et sa tension palpable.
Castellano : mythe ou réalité ?
Certains racontent que Paul Castellano, alors bras droit de Carlo Gambino et futur chef de la puissante famille Gambino, aurait également surveillé de loin la production. À ce jour, aucun document ne prouve formellement sa participation. Ce qui est certain, c’est que la mafia new-yorkaise suivait Le Parrain de très près. Pas question pour elle que le film devienne un outil de propagande ou de moquerie. En clair, pas question de rire des “affaires”.
Avec le recul, difficile de ne pas voir une forme d’ironie dans cette histoire. Le film que la mafia craignait tant est devenu son plus grand hommage cinématographique. À travers la figure tragique de Don Corleone, c’est toute une mythologie qui se met en place : codes d’honneur, rituels, silences pesants, mais aussi violence sourde et sens du pouvoir.
Même sans jamais prononcer le mot “mafia”, Le Parrain devient une fresque puissante de ce que représente l’organisation criminelle aux États-Unis. Et il le fait avec une telle sobriété que même certains mafieux y ont vu une forme de reconnaissance artistique. Comme si l’univers parallèle qu’ils avaient bâti dans l’ombre accédait enfin à une forme d’immortalité hollywoodienne.
Cinquante ans plus tard, cette anecdote continue de fasciner. Elle montre à quel point la frontière entre cinéma et réalité peut parfois s’effacer. Lorsque Lenny Montana entre dans le cadre, c’est toute la rue new-yorkaise qui s’invite dans la pellicule. Lorsque Brando incarne Don Corleone, c’est une version stylisée mais crédible de la pègre qui prend vie. Et lorsque Coppola cadre les regards, les silences et les pactes muets, il ne filme pas seulement de la fiction : il capte une vérité plus profonde que les mots.
Alors oui, on peut dire que Le Parrain a été, sinon “certifié conforme”, du moins toléré, surveillé et même inspiré par la vraie mafia. Et ce lien subtil entre art et réalité reste encore aujourd’hui l’un des secrets de sa puissance.
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Le Parrain-Trilogie
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Le ParrainTrilogie Edition 50eme Anniversaire Edition 50eme Anniversaire
Le Parrain
- 15 mars 1972 (2h55)
- Titre original The Godfather
- Univers Le Parrain
- De Francis Ford Coppola
- Avec Abe Vigoda, Morgana King, Tony Giorgio, Talia Shire, Sterling Hayden, Simonetta Stefanelli, Salvatore Corsitto, Rudy Bond, Robert Duvall, Richard S. Castellano