Six appels par semaine, en moyenne, c’est la réalité que vivent des millions de Français, régulièrement harcelés par des propositions commerciales qu’ils n’ont jamais sollicitées. Mais cette situation pourrait bientôt appartenir au passé. Le Sénat s’apprête à voter une proposition de loi radicale : interdire purement et simplement tout démarchage téléphonique sans consentement préalable explicite. Un texte qui ambitionne de bouleverser durablement les pratiques du marketing téléphonique en France.
Une rupture claire avec le système actuel anti démarchage téléphonique
Jusqu’à présent, les démarches anti-démarchage reposaient sur la responsabilité du consommateur. Il devait s’inscrire sur des listes d’opposition comme Bloctel, censées le protéger des appels indésirables. Un système jugé largement inefficace, d’autant plus que de nombreuses entreprises contournent ces dispositifs ou exploitent des zones grises juridiques.
Avec cette nouvelle loi, la logique s’inverse : c’est aux entreprises de prouver qu’elles ont reçu un consentement actif, éclairé et préalable avant de décrocher leur téléphone. Un simple silence ou une case pré-cochée ne suffiront plus. Le consommateur devra cliquer ou cocher une case de manière explicite, et communiquer ses coordonnées de son plein gré pour autoriser un appel commercial.
Une interdiction généralisée à tous les secteurs
Contrairement aux restrictions actuelles, qui ne s’appliquent qu’à certains domaines (comme la rénovation énergétique ou la formation professionnelle), la nouvelle législation s’appliquera à tous les secteurs d’activité. Téléphonie, énergie, banques, assurances, services à domicile ou même vente de surgelés : aucune exception.
Le seul cas dans lequel un appel restera autorisé, c’est lorsqu’il est directement lié à un contrat en cours. Par exemple, votre fournisseur pourra vous appeler pour vous proposer un ajustement tarifaire sur votre offre actuelle. Mais s’il veut vous vendre un nouveau produit non inclus dans votre contrat, il devra d’abord obtenir votre feu vert explicite.
Consentement oui, mais à vos horaires
Une autre avancée majeure concerne le respect des plages horaires. Le décret de mars 2023 fixe déjà des plages légales pour le démarchage (du lundi au vendredi, entre 10h et 13h puis de 14h à 20h).
Désormais, même dans le cas où le consommateur a donné son accord, les appels ne pourront avoir lieu que durant la tranche horaire choisie. Si vous cochez une case pour être contacté un samedi à 9h, c’est à ce moment précis que l’entreprise devra appeler. Tout dépassement constituera une infraction.
Une entrée en vigueur décalée prévue pour l’été 2026
La loi ne s’appliquera pas immédiatement. Elle entrera en vigueur le 11 août 2026, soit plus d’un an après son adoption. Pourquoi attendre si longtemps ? D’abord, parce que le contrat entre l’État et le prestataire de Bloctel court jusqu’à cette date. Rompre cet accord entraînerait des pénalités financières. Ensuite, il faut laisser le temps aux entreprises de revoir leur stratégie commerciale, d’adapter leurs logiciels CRM, et de former leurs équipes à ce nouveau cadre juridique.
Des sanctions financières très dissuasives
La loi ne se contente pas d’interdire : elle prévoit aussi un arsenal de sanctions dissuasives. En cas de non-respect des règles :
- Une personne physique encourra jusqu’à 75 000 euros d’amende.
- Une entreprise (personne morale) pourra se voir infliger jusqu’à 350 000 euros.
- Et en cas d’abus de faiblesse, la sanction pourra grimper jusqu’à 500 000 euros et 5 ans de prison.
La charge du contrôle reviendra à plusieurs autorités : la DGCCRF (Répression des fraudes), la CNIL et l’ARCEP auront le droit de mutualiser leurs informations pour identifier plus efficacement les contrevenants. Cette collaboration interinstitutionnelle vise à garantir une application stricte de la loi.
Une réponse à une exaspération nationale
Selon plusieurs enquêtes, plus de 9 Français sur 10 se disent agacés voire excédés par les appels commerciaux non sollicités. Ce ras-le-bol est renforcé par la montée en puissance des appels automatisés, des centres d’appels délocalisés, et des techniques d’usurpation de numéros (avec des préfixes en 06 ou 07 pour feindre un appel personnel).
Le législateur espère ainsi redonner du contrôle aux consommateurs, tout en forçant les professionnels à adopter des pratiques plus respectueuses. Le sénateur Pierre-Jean Verzelen, à l’origine du texte, défend une approche « sans exception, claire et lisible ». Il cite l’exemple de l’Allemagne, où une loi similaire n’a été réellement efficace qu’après un durcissement des sanctions.
La fin du démarchage commercial non consenti représente un progrès certain. Mais elle ne mettra pas fin à tous les appels indésirables. Les fraudes téléphoniques ne relèvent pas du même cadre légal. Faux conseillers bancaires, pseudo-agents des impôts, arnaques aux faux colis ou aux faux remboursements : les escrocs n’attendent pas de consentement, et utilisent souvent des méthodes sophistiquées pour échapper aux régulateurs.